Peut-on renouveler son IR sans FCL.055 ? Effets pervers de l’imposition de l’anglais aux pilotes IFR en France

By | 14 juin 2023

Depuis 2017, il n’est plus possible d’obtenir ou de proroger une qualification de vol aux instruments (IR) sans être titulaire d’une qualification de compétence en langue anglaise spécifique aux vols IFR (plus communément appelé « FCL.055D » en France).

La plupart des pilotes concernés par cette obligation étant des professionnels en activité, l’obtention d’un niveau 4 n’est qu’une formalité. 

Or, depuis quelques années, on constate que l’imposition de telles obligations à l’intégralité des pilotes français provoque quelques effets pervers.

Effet pervers no 1 – Imposer l’anglais à des publics qui n’en ont absolument pas l’utilité

Si la plupart des pilotes IFR en France sont des pros, il existe des catégories de pilotes qui sont injustement pénalisés par l’obligation « niveau 4 ».

1 – Pilotes privés IFR n’effectuant que des vols sur le territoire national 

En France, il existe une grande communauté de pilotes titulaires de l’IR, le plus souvent propriétaires d’avions. Sans vouloir rentrer dans les stéréotypes, le profil classique du pilote privé IFR français  comporte souvent les mêmes caractéristiques : 

  • Age autour de la soixantaine
  • Grande expérience dans le monde des affaires
  • Plusieurs centaines d’heures de vol effectuées uniquement en France / en suisse francophone
  • Issu d’une génération où l’enseignement de l’anglais en France n’était pas au même niveau qu’aujourd’hui

2 – Instructeurs professionnels en ATO n’instruisant qu’en français et que sur le territoire français

Dans certaines écoles en France, il existe des instructeurs issus de la même génération que ceux cités au-dessus.  ayant souvent plusieurs dizaines de milliers d’heures de vols, toutes effectuées en langue française, sans jamais franchir la moindre frontière. 

3 – Pilotes d’état titulaires de l’IR mais ne volant qu’autour des villes françaises

Bien des services publics font appel a des pilotes professionnels (souvent des pilotes d’hélicoptères) pour des missions aériennes (SAMU…). 

Ces pilotes sont bien souvent titulaires de l’IR, mais ne l’utilisent que très rarement (pour rentrer d’une mission suite à des conditions dégradées, par exemple). 

Pour ces trois profils de pilote (très présent en France), je suis moi-même amené à poser la question :

Mais pourquoi les emmerder avec l’anglais ?

La réglementation française est claire : « Les deux langues acceptées en France sont l’anglais et le français ».

C’est d’ailleurs grâce à ce bilinguisme que l’aéronautique reste accessible au plus grand nombre de personnes dans notre pays. 

Alors, quel intérêt de pénaliser les pilotes à ce niveau-là ? Si on persiste, il va arriver une des trois choses suivantes : 

  • Les pilotes concernés vont tout simplement arrêter de voler, dégoûtés du système. Cela serait d’autant plus pénalisant qu’il s’agit souvent de pilotes avec une très grande expérience à transmettre aux générations futures.
  • Les pilotes concernés vont continuer à voler en IFR sans proroger leur IR (et donc sans contrôle de leurs compétences en IMC), ou faire du « VFR sauvage » dans des conditions dangereuses
  • Les pilotes concernés vont utiliser des moyens peu scrupuleux pour obtenir un « niveau 4 sur papier » (voir effet pervers no. 2)

On en arrive alors à une situation où l’obligation de parler l’anglais pour l’IFR – sans doute basé sur des intentions louables en matière de sécurité des vols – pousse les pilotes à se mettre en danger  ! 

Effet pervers no. 2 – Création d’un marché de « niveau 4 sur papier » (ou « tests de complaisance »)

Face à l’obligation d’obtenir un niveau 4, un pilote français qui n’a jamais pratiqué l’anglais de sa vie a essentiellement deux solutions : 

  1. Prendre des cours d’anglais dans l’espoir de décrocher un niveau 4
  2. Trouver un pourvoyeur de « niveau 4 sur papier » 

Solution 1 : Prendre des cours

Vu les moyens financiers dont disposent certains pilotes dans cette catégorie, il peut être tentant de se payer un très grand nombre d’heures de cours pour essayer « d’acheter » un niveau 4. Or, apprendre une langue quand on a 60 ans, qui plus est dans un contexte technique, ne se fait pas du jour au lendemain.

De plus, les pilotes concernés ne se manifestent souvent que quelques mois (voir quelques semaines) avant l’expiration de leur IR. 

Les organismes proposant ce genre de « formation express en catastrophe » se retrouvent alors dans une situation ubuesque.

Le raisonnement se résume souvent à :

« Ce type m’a payé 60 heures de cours, je ne vais quand-même pas lui refuser son niveau 4, et de toutes les manières, il ne va jamais utiliser son anglais ! »

Si ce raisonnement peut paraitre logique, voir-même pragmatique, octroyer un niveau 4 « administratif » à un pilote qui n’est manifestement pas opérationnel peut avoir de réelles conséquences en matière de sécurité. Il suffirait que la personne concernée décide de s’offrir une petite villégiature hors de France pour qu’une véritable catastrophe se produise. 

Cela crée également une concurrence malsaine entre les organismes : d’un côté il y a ceux qui sont prêts à prendre le risque de donner un niveau 4 pour « sauver » l’IR d’un client, et de l’autre côté, ceux qui n’y arrivent pas.

Il ne s’agit pas ici de pointer du doigt qui que ce soit, mais de mettre en évidence cette situation très inconfortable dans laquelle se retrouvent tous les organismes de test / formation opérant sur le marché français. 

Solution 2 : Obtenir un « niveau 4 sur papier »

 Dès l’introduction de l’obligation « niveau 4 », certains opérateurs ont vu chez les pilotes   détaillés dans cet article un marché juteux : ceux des « niveau 4 en papier », ou des « niveau   4  de complaisance ».

 

Il s’agit ici non pas de travailler sur l’anglais en soi, mais de proposer une solution « papier » à des pilotes en quête d’une solution rapide.

On voit naître alors un réseau de « pourvoyeurs de niveau 4 sur papier », dont les numéros de téléphones se baladent sur les aérodromes . Souvent entendu sur les aérodromes :

« Appelle ce type, il t’évitera de te casser le cul avec ces tests d’anglais à la con ! »

A l’heure actuelle, il est impossible de savoir combien de ces « testeurs de l’ombre » rodent encore sur le marché, mais un des plus connus s’est vu retirer son agrément en début d’année. 

Quelles solutions face à cette situation ?

Il est clair que la situation actuelle pose des problèmes à plusieurs niveaux. Une obligation sécuritaire émanant de l’EASA a été traduite par la DGAC de telle sorte que les pilotes soient parfois emmenés à faire des choses qui vont complétement à l’encontre de la sécurité ! 

Malgré de nombreux recours, la DGAC n’a toujours pas proposé de solution à ceux qui souhaitent continuer à voler en IFR en France, et en français (ce qui, bien entendu, ne met personne en danger !). 

Les exigences de l’OACI en matière de maitrise de l’anglais sont claires : il s’agit d’améliorer les communications pour les vols internationaux. Les imposer à des pilotes qui ne vont jamais à l’étranger n’a pas de sens. On peut bien imaginer la réaction si un jour le Ministère des Transports introduisait un test d’anglais obligatoire pour les chauffeurs routiers, ou encore pour les conducteurs de bus ! 

Alors que faire si vous êtes pénalisé par cette situation ? Il existe peut-être (et je dis bien peut-être) une solution : le « Basic IR ». 

Produit de l’EASA, cette IR simplifiée a des minimas plus élevés que l’IR « classique », mais a la particularité de ne pas nécessiter de FCL055. Certains pilotes privés IFR ont réussi à faire basculer leur « Full IR » en « Basic IR » et échapper ainsi à l’obligation d’obtenir un niveau 4 pour effectuer leur prorogation.

Malgré plusieurs tentatives, je n’ai pas réussi à obtenir de réponse « officielle » de la DGAC, mais je ne perds pas espoir ! 

Watch this space…….

James