Article de James
« Comment ça, un niveau 4 ? J’ai bossé 6 mois en Australie ! »
Depuis quelques années, l’arrivée des tests FCL.055 « nouvelle génération » a bousculé le marché français.
Si cette ouverture du marché laisse davantage de choix aux pilotes, elle crée une nouvelle polémique : celle du tourisme du FCL.055.
Cet article est le fruit de près de 10 ans passés à travailler dans ce domaine, et comporte plusieurs témoignages recueillis chez des candidats et au sein de différents organismes d’évaluation.
Pourquoi cet article ?
Je suis régulièrement confronté à des pilotes qui ne sont pas contents du niveau qu’ils ont obtenu, soit chez moi, soit chez un autre opérateur.
Parfois, en creusant, on se rend compte qu’il y a de multiples facteurs contribuant à un résultat donné, et tous ne se limitent pas au strict niveau d’anglais de la personne ! J’espère qu’en lisant cet article, vous comprendrez un peu mieux le marché sur lequel nous évoluons, et l’environnement dans lequel nous devons prendre des décisions parfois délicates.
Un peu d’histoire
Avant l’arrivée du JAA et de l’EASA, chaque pays était libre de contrôler (ou pas !) le niveau d’anglais de ses pilotes. Dans le cas de la France, les pilotes professionnels passaient la Qualification de Radio Internationale (QRI). Cette dernière était valide à vie.
Vers 2008, les premiers textes européens (JAR FCL.1200) créent une nouvelle obligation pour les états membres de procéder à la vérification du niveau d’anglais des pilotes sous leur tutelle, selon la grille OACI, qui instaure les fameux niveaux 4/5/6. Les tests QRI deviennent alors caduques.
Chaque pays européen était libre de choisir la manière dont il procédait à ces examens. Les premiers examens se faisaient en général par 3 biais :
- Un test directement auprès de l’autorité
- Un test auprès d’un organisme d’évaluation auquel l’autorité déléguait cette responsabilité
- Un test « informel » avec un FE (le plus souvent pendant un vol de prorogation ou de renouvellement)
Au début, la France a opté pour la première solution, c’est-à-dire une évaluation conduite par ses propres examinateurs, venant en général des rangs des contrôleurs aériens. Cet examen était un « copier coller » de la QRI, c’est-à-dire :
- Un exercice d’écoute avec des textes à trous
- Des messages radio et situations d’urgence à traduire du français vers l’anglais
Au début, l’implémentation de ce système d’évaluation n’a pas fait que des contents. On se plaint alors d’enregistrements de mauvaise qualité et d’examinateurs malveillants.
En réalité, les nombreux échecs essuyés par les pilotes au début ne venaient ni d’une défaillance du test, ni d’un problème d’examinateur, mais du fait qu’on avait essayé d’appliquer une grille d’évaluation holistique au moyen d’un système de notation binaire. La DGAC estimait en effet que pour avoir un certain niveau à chaque critère, il fallait marquer un certain nombre de points, ce qui n’était pas prévu par les créateurs de la grille OACI.
Petite parenthèse concernant les examinateurs DGAC : pour avoir travaillé avec beaucoup d’entre eux je peux dire en toute franchise que ceux que j’ai côtoyés sont tous de bonne foi et dotés d’une conscience professionnelle irréprochable. Ce sont en général des passionnés de langues qui cherchent toujours à s’améliorer (j’ai eu le plaisir d’en renseigner certains sur des subtilités de ma langue natale). Ils sont parfois aussi frustrés que les candidats quant au système d’évaluation dont ils sont tributaires.
Lors du passage du JAA à l’EASA, le texte réglementaire FCL1200 change de nom : on parle alors de « l’examen FCL.055 ».
Premiers opérateurs étrangers et frictions avec les acteurs existants
Le passage à l’EASA a ouvert pour la première fois la possibilité pour un pilote français d’obtenir sa compétence linguistique ailleurs qu’à la DGAC. Des entrepreneurs belges y voient alors un marché juteux de plusieurs milliers de pilotes. Vers 2013, les premières sessions « nouvelle génération » sont organisées par une société belge dans les locaux de différents aéroclubs français.
Ce nouveau style de test, pas moins fiable que celui de la DGAC mais surtout basé sur une évaluation globale du niveau, connait un succès fracassant dans l’Hexagone. Dotés d’une vue plus pragmatique, ces examinateurs de l’autre côté de la frontière octroient de plus en plus de niveaux 4, 5 et 6 a des pilotes sous licence française.
Or, ce changement du marché ne passe pas inaperçu. Des sociétés françaises, spécialisées dans la préparation à l’examen DGAC, et craignant l’évaporation de leur marché, passent à l’action. Des recours sont déposés auprès de la DGAC, des mails sont envoyés aux autorités belges. En 2014, la DGAC décrète que les niveaux 6 obtenus ailleurs que dans ses centres seront rétrogradés d’office en niveau 5.
De 2014 à 2019, on voit arriver de plus en plus d’examinateurs agréés par des autorités EASA autre que la DGAC sur le marché français. Or, cette diversification du marché s’accompagne d’un large éventail de styles de test, et, surtout, d’interprétations des critères OACI. On assiste alors a des cas comme ceux-ci :
Pilote 1
Test DGAC (janvier 2020) : Niveau 5
Test Danois (juin 2020) : Niveau 3
Test Belge : (décembre 2021) : Niveau 6
Pilote 2
Test britannique (février 2022): Niveau 6
Test slovaque (Juillet 2022): Niveau 3
Pourquoi autant de disparité ?
Pour comprendre ces différences frappantes, il faut en identifier les causes :
- Interprétation différente des critères d’un organisme à l’autre
- Compatibilité du style de test avec le candidat en question
- Formation des examinateurs
Interprétation des critères
Les critères OACI sont, encore une fois, des critères holistiques, c’est-à-dire qu’ils dépendent de l’interprétation de la personne qui les applique. Par exemple, pour obtenir un niveau 5 en prononciation, il faut que la prononciation n’interfère que rarement avec la compréhension. Mais que signifie « rarement » ? Qui doit comprendre ou pas comprendre? Un espagnol ? un français ? Forcément, un examinateur qui l’habitude d’entendre parler des francophones estimera que cet accent n’interfère pas avec la compréhension, tandis qu’un contrôleur britannique aura peut-être plus de mal !
Compatibilité du style de test
Certains candidats obtiennent de meilleurs résultats avec le test DGAC qu’avec les opérateurs « nouvelle génération », et vice-versa. En effet, ceux qui ont une connaissance « littéraire » de l’anglais sont plus à l’aise avec un support écrit en français, tandis que ceux qui sont plus à l’aise à l’oral préfèrent le test « nouvelle génération ».
Formation des examinateurs
l’OACI préconise 40 heures de formation pour les examinateurs, avec 24 heures de formation récurrente tous les ans. Or, selon l’opérateur, on est loins de ces chiffres ! Je ne dispose pas des programmes de formation de tous les opérateurs, mais voici quelques exemples :
Ce qu’il faut faire pour devenir examinateur
Autre organisme EASA opérant en France | Lingaero | Organisme typique britannique |
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Plus on forme un examinateur, plus son analyse du candidat va être détaillée. De la même manière, à force de devenir trop académique dans son analyse, on risque de noyer le poisson et de proposer un examen complètement inaccessible.
Peu importe la formation et le mode d’analyse, il faut éviter de tomber dans le piège du « bon » et du « mauvais » résultat. Il y a tout simplement des résultats et des modes d’analyse différents.
Hormis les cas où un examinateur donne un niveau 4 à quelqu’un qui ne parle pas du tout anglais (voir plus tard les « abus »), tous les autres résultats peuvent se justifier et se défendre d’une manière ou d’une autre.
Tourisme du FCL.055 : Entre le linguistique et le commercial
Vu le nombre de prestataires de tests sur le marché français, il est naturel qu’une certaine concurrence s’installe entre eux.
Un test FCL.055 est toujours constitué de 2 éléments :
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- Le format du test (les épreuves en elles-mêmes)
- Les examinateurs (interprétation et application des critères OACI)
Quasiment tous les opérateurs « nouvelle génération » utilisent les mêmes types de supports (photos, textes, bandes audio…). De plus, le format du test est décrit en tant que tel dans le manuel déposé de l’organisme, et reste donc difficilement modifiable.
Le seul point sur lequel les organismes peuvent se démarquer les uns des autres est donc l’application de la grille. C’est aussi le seul point sur lequel ils peuvent se dénigrer (ce qui se fait quotidiennement entre certains organismes).
J’ai même vu l’autre jour une annonce pour un professeur d’anglais avec le critère : « doit posséder un niveau 6 délivré par la DGAC ». Il va falloir m’expliquer en quoi le fait d’avoir réussi un test auprès d’un opérateur donné fait de la personne un meilleur prof d’anglais ! (answers on a postcard).
Un pilote qui obtient un niveau 4 auprès d’un opérateur donné peut parfaitement obtenir un niveau 5 auprès d’un autre le lendemain. Bien entendu, le niveau d’anglais de la personne n’a pas changé, seulement l’interprétation de l’examinateur.
D’un point de vue commercial, si un opérateur applique une interprétation trop stricte des critères, il risque de voir fuir sa clientèle. S’il est trop laxiste, il risque des problèmes avec les autorités, ainsi que de donner une raison de plus à ses concurrents de le dénigrer auprès de la communauté aéronautique.
On se retrouve alors à marcher sur une corde raide avec « son » interprétation des critères et « sa » façon de conduire des examens, qui est parfois en porte-à-faux avec les « niveaux de rue »…. c’est-à-dire les pilotes qui disent : « Mais X a eu un niveau 5, pourquoi je n’ai eu qu’un niveau 4 ? ».
Les derniers recrutements d’Air France n’ont fait qu’aggraver la situation. Les pilotes ne cherchent pas à améliorer leur niveau d’anglais, mais à obtenir à tout prix un papier « niveau 5 » pour que leur dossier soit complet. Cela met les opérateurs sous une forte pression à la fois commerciale et opérationnelle.
Par ailleurs, certains opérateurs y voient alors l’opportunité d’engranger un maximum d’argent auprès de pilotes dans le besoin.
Abus et anecdotes divers et variés
A force de trainer dans ce domaine depuis un certain temps, je reçois quotidiennement des anecdotes des différents opérateurs. En voici quelques unes :
L’examinateur, voyant que je ne comprenais pas, a stoppé l’enregistrement pour m’expliquer le message en français
Pilote française ayant passé son examen dans un aéroclub français avec un organisme
Ce mec en Belgique m’a appelé sur Whatsapp alors que je repassais ma chemise avant de partir en vol. 8 minutes plus tard, j’avais un niveau 6.
Captain dans une grande compagnie française
Appelle ce mec de ma part, pour 500 € il te garantit un niveau 5
Pilote souhaitant participer aux sélections d’Air France
Il m’a dit « je ne te file pas le niveau 5 cette fois-ci, parce que je veux que tu reviennes payer une formation dans 4 ans, et de toute façon, tu n’as besoin que du 4 pour ton boulot
Pilote du gouvernement français ayant passé un test avec un organisme indépendant
Comment nous procédons chez Lingaero
Vu les anecdotes citées plus haut (toutes véridiques) vous comprendrez ma frustration quand j’essaye de proposer un test équilibré et honnête !
Bien entendu, en termes d’évaluation, je ne peux prêcher que pour ma paroisse.
Chaque candidat est évalué de manière tout-à-fait objective par deux examinateurs :
- Un linguiste, qui possède à minima 2 ans d’expérience dans l’enseignement. Tous nos linguistes sont d’ailleurs de langue maternelle anglaise
- Un examinateur opérationnel, qui possède une licence de pilote et qui a suivi 40 heures de formation
Notre évaluation
Nous appliquons les critères un par un, de manière holistique, c’est à dire qu’on juge la performance dans sa globalité. On juge surtout la performance du jour, qui peut différer de la performance d’il y a 4 ans, voir même d’il y a 6 ans.
Il n’y a aucun quota de niveau, et nous procédons à des contrôles réguliers des niveaux donnés par nos examinateurs.
Prononciation | Structure | Vocabulaire | Fluidité | Compréhension | Interaction |
Est-ce que la personne est compréhensible par la communauté aéronautique ? Combien d’écarts par rapport au « Lingua Franc Core » ?
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Est-ce que la personne construit des phrases intelligible au présent, passé, et future ? Est-ce que la personne utilise des formules complexes ? |
Est-ce que la personne connait suffisamment de mots pour se faire comprendre ? Est-ce que la personne est capable de s’exprimer autrement lorsqu’elle n’a pas le mot juste. |
Est-ce que la personne maintient son débit ? Y-a-t-il beaucoup d’hésitations ? Est-ce que la personne relie bien ses idées avec des « discourse markers » ? |
Est-ce que la personne comprend tout ce qu’on lui dit dans un contexte aéronautique ? Sinon, est-ce que les incompréhensions arrivent dans des situations critiquent pour la sécurité ? | Est-ce que la personne répond de manière spontanée et informative ? |
Vers une approche plus standardisée ?
La seule issue à cette situation serait (à mon sens) la création d’un test d’anglais homologué au niveau européen, à l’instar de ce qui se fait pour les examens d’ATPL. Il faudrait également que les examinateurs appliquent tous la même interprétation d’un pays à l’autre, ce qui est loin d’être le cas actuellement !
Bons vols à tous
James